Hugues Demeude Journaliste reporter, auteur-réalisateur


Sapeur-pompier magazine (janvier 2006)

Géomatique, l'aide à la décision en quelques clics.

La géomatique est un ensemble de méthodes et d’outils permettant via l’informatique de représenter, analyser, et restituer une information à caractère géographique. Un nombre croissant de Sdis a recours aux Systèmes d’Informations Géographiques pour spatialiser les informations comprises dans le SDACR, et s’appuyer lors d’interventions sur ces outils opérationnels d’aide à la décision. Le Sdis du Var, qui a été pionnier en la matière, vient de finaliser la mise en réseau de son ambitieux Intranet cartographique.


Dans la cellule de commandement située à distance du silo à maïs en feu, l’officier responsable de l’intervention consulte une nouvelle fois la photographie de l’établissement vu du ciel. Avant de quitter le Codis, il a pris soin d’imprimer cette photographie aérienne issue du Système d’Information Géographique (SIG) qui lui permet de distinguer très clairement, dans un rayon de deux cents mètres, les différents accès à l’établissement et tous les points d’eau qui l’environnent. Sur une telle intervention avec risque de propagation à une cellule voisine, cet outil qui spatialise les informations aide le commandant à organiser de façon optimale son dispositif de lutte contre le feu.
Cet exemple d’intervention assistée par ordinateur, pris dans l’Allier fin 2004, est un cas d’école qui illustre le quotidien d’un nombre croissant de départements ayant adopté ce nouveau système d’information géographique - à l’instar du Var, pionnier en la matière. « Homme de terrain, le sapeur-pompier réussit d’autant mieux ses interventions qu’il connaît bien la géographie de son environnement, mais aussi les ressources qui lui sont nécessaires : adresses, accès, points dangereux, poteaux et bouches d’incendie » explique le commandant Jean-Claude Poppi, chef du service cartographie du Sdis du Var. « La somme des connaissances à recenser et leur actualisation quotidienne a rendu nécessaire le recours à des moyens informatiques tablant sur la cartographie numérique et les bases de données géo-référencées. Cette démarche innovante est de grande ampleur : dans notre SIG du Sdis du Var, nous avons répertorié 7 600 kilomètres de pistes, 15 000 points d’eau et 39 000 adresses. »

Une bonne carte vaut mieux qu’un long discours
C’est à travers les Schémas départementaux d’analyse et de couverture des risques (SDRACR) que sont apparus ces Systèmes d’Informations Géographiques dans le monde sapeur-pompier. Le SDACR a été un élément moteur dans la mesure où la grande quantité d’informations collectées pour le réaliser dans chaque département a eu tendance à être présentée sous forme de cartes, avec l’idée qu’une bonne carte vaut mieux qu’un long discours. En d’autres termes, il a fallu que les responsables informatiques trouvent des solutions techniques pour spatialiser cette somme de données. Avec pour objectif d’aider les responsables des Sdis à tirer toutes les conséquences de ces informations territoriales dans l’optique de garantir une couverture harmonieuse des secours. D’où le terme de géomatique employé pour qualifier cet outil d’aide à la décision, contraction de géographie et d’informatique. La répartition des points d’eau, le maillage des casernes, l’exactitude des parcellaires urbains, la présence des établissements répertoriés, sont autant de référentiels du SDACR pris en compte prioritairement par le SIG. Il s’agit donc d’un système utilisé, en amont, pour la prévention mais qui a aussi par nature une vocation opérationnelle.
« Nos attentes en matière d’informations géographiques concernent la prévention, telle qu’elle est étudiée dans le SDACR, mais également la préparation des opérations et leurs évaluations en retour de mission » souligne le commandant Poppi qui, à 42 ans, est considéré comme l’un des chefs de file de la géomatique appliquée au milieu sapeur-pompier. « Notre ambition est de constituer une base de données préparatoire aux futures interventions. C’est un outil qui doit correspondre aux attentes du sapeur-pompier encadrant une mission : en quelques clics, avant le départ, il doit se familiariser avec le lieu de son intervention et connaître le meilleur trajet pour s’y rendre ; il doit aussi intégrer l’analyse de la zone d’intervention, avec ses risques et ses contraintes particulières. Ensuite, de retour de mission, nous établissons des comptes rendus pour mettre éventuellement en place des actions correctives sur les trois paramètres principaux que sont le matériel, la formation et l’organisation ».

Lors d’opérations importantes, la connaissance du terrain acquise grâce à la base de données du SIG favorise des choix tactiques qui permettent de résoudre le sinistre. C’est dire que la géomatique n’est pas qu’une simple histoire de cartes et de plans, comme le confirme le lieutenant-colonel Mondet, chef des services opérationnels du Sdis de l’Allier : « La cartographie à l’ancienne ne donne que la possibilité de dessiner sur un fonds de carte ; le SIG va bien au-delà : en plus de la cartographie numérique, il contient des couches de données attributaires géo-référencées qui en font un outil complet, précis, évolutif et simple d’usage. Nous pouvons rajouter autant de couches d’informations que nous le souhaitons. Avant l’entrée en fonction du SIG il y a trois ans dans l’Allier, l’ancienne cartographie ne donnait pas satisfaction. Nos centres possédaient des cartes obsolètes à cause des bases IGN qui n’étaient pas mises à jour ; les déviations, les nouvelles bretelles d’autoroute, et certains lotissements n’apparaissaient pas. En outre, les plans étaient différents d’une caserne à l’autre car chacun voulait représenter son carroyage ou ses points d’eau à sa manière. Maintenant tout cela c’est du passé ! Avec le SIG, non seulement nous avons pu considérablement enrichir la base de données, notamment cartographiques, mais nous avons pu formaliser ce travail au niveau départemental pour que tout le monde parle le même langage ! »

Des couches de données superposées comme un mille-feuilles
Le travail est considérable pour obtenir un outil d’aide à la décision exhaustif, fiable et performant. Pour que le SIG reflète fidèlement la réalité du terrain, il est nécessaire que la collecte des informations soit excessivement rigoureuse et bien planifiée. « L’architecture de notre SIG a été finalisée en 2002, mais nous venons à peine de finir la collecte des données pour les trois référentiels principaux que sont l’eau, les adresses et les fonds de plan. C’est un gros travail, cela ne s’improvise pas » confie le commandant Poppi. « Par exemple, pour chacun des hydrants, nous sommes passés par une phase de numérotation, de localisation et d’intégration dans la base SIG en leur associant des coordonnées GPS. Et chaque année, nous allons contrôler l’ensemble des points d’eau pour être sûr d’en avoir le même nombre. En ce qui concerne les adresses, nous travaillons avec des bases de données nationales, comme celle du Trésor public, que nous recoupons avec les fichiers communaux. Enfin s’agissant des fonds de plan, nous avons fait en sorte de récupérer tous les cadastres vecteur car les seuls filaires de voiries avec les adresses et les noms des voies ne suffisent pas : ce que veulent les sapeurs-pompiers en intervention, c’est de savoir comment est organisé le bâti, autrement dit de savoir s’ils peuvent passer par une cour intérieure pour aller éteindre un incendie. La connaissance du terrain est primordiale pour le sapeur-pompier. L’outil SIG nous permet de la formaliser : nous passons du disque mou de chacun des individus au disque dur de la machine ».

15 000 points d’eau et 39 000 lignes adresses ont été recensées dans le SIG du Var. Un système qui totalise 600 couches de données ! Démonstration : sur l’ordinateur, le logiciel développé dans le Var avec la société Générale d’Infographie (choisie dans le cadre d’un appel d’offre sur performance) fait apparaître une carte IGN du département avec pour seule indication la limite des communes. En cliquant, on peut superposer une nouvelle couche montrant les corps de sapeurs-pompiers, puis une autre dévoilant le découpage opérationnelle, et une quatrième indiquant les pistes. Au fur et à mesure on superpose les couches d’informations qui sont sur le même territoire. Ce sont des données localisées. Ensuite, il est possible de zoomer sur la carte pour modifier l’échelle d’affichage et faire apparaître d’autres informations disponibles. Les fonds de plan, correspondant aux différentes cartes d’IGN, se modifient : ils passent du 250 000e au 100 000e puis au 25 000e. En zoomant, on affine, on se rapproche. En dessous du 10 000e, c’est l’Orto-photo qui prend le relais, c'est-à-dire des photos aériennes qui restituent exactement l’ensemble du territoire vu du ciel. « Quand les pompiers ont vu pour la première fois l’Orto-photo ils ont tous recherché leurs maisons. Du coup ils se sont immédiatement approprié l’outil » précise le commandant Poppi. Le logiciel de SIG employé dans le Var, appelé APIS, a donc la particularité de superposer des couches de données : occupation du sol, pistes, points d’eau, points sensibles autoroutiers, tours de guets, unités administratives, zones de couverture radio, zone météo, zone de compétences… Ce qui est spécifique à APIS c’est la possibilité qu’il octroie à un utilisateur de modifier certaines des couches d’informations disponibles. L’objectif c’est que les pompiers, localement, soit en mesure de faire la mise à jour du SIG. Le logiciel donne la possibilité à l’utilisateur, à travers une gestion des droits d’accès, d’ajouter ou de supprimer certaines informations. « Nous avons souhaiter créer des profils par utilisateur, pour la visualisation et la mise à jour du système. Chaque utilisateur n’a qu’un certain nombre de couches d’informations disponibles, ainsi qu’une zone géographique propre que nous appelons zones de compétences, car le pompier de St Tropez ne va pas mettre à jour quelque chose sur St Raphaël ».
Tourné vers l’ensemble de l’effectif pompier, cet ambitieux SIG a réclamé un investissement financier de la part du Sdis du Var important : 304 000 euros TTC qui comprennent le logiciel SIG (pour environ 140 000 euros), le développement spécifique, le matériel et le serveur (pour 30 000 euros), l’architecture réseau (dont le système de gestion de base de données), la formation et l’accompagnement. Un investissement reflétant une ambition très haute qui serait bien moins important aux tarifs d’aujourd’hui pour les départements qui voudraient suivre ce sillon.

Intranet cartographique mis à jour en temps réel
Structurer une base de données implique de penser à sa mise à jour. Or c’est le technicien de terrain qui dispose de l’information. Pour limiter les erreurs de saisie et être sûre d’une base de données, il faut recueillir la donnée au plus proche de la source. Dans le Var, le service cartographie gère l’ensemble du SIG, le service informatique l’administre, et les sapeurs-pompiers - appelés par le commandant Poppi « les sachants du terrain » - le mettent à jour, que ce soit pour les hydrants, les équipements forestiers, les citernes, points d’eau, routes et autres chemins… Pour se faire, le SIG a été mis en réseau sur l’ensemble du département à travers un Intranet, utilisé comme un outil de diffusion vers les centres. « Le but c’est d’avoir un représentant dans chaque groupement territorial qui puisse formaliser la connaissance des sachants qui sont proches du terrain » explique le commandant Poppi. « Avec pour objectif ultime que chaque sapeur-pompier puisse dire dans son quartier, à partir de l’orto-photo consultée sur l’Intranet, que la base de données n’est pas à jour sur tel et tel point. Il y a un gisement énorme de connaissances à exploiter, et ce au profit des utilisateurs finaux que sont les sapeurs-pompiers, du chef d’agré au chef de groupe ». Dans le Var, 120 ordinateurs sont déployés sur le site du Sdis à Draguignan, et 300 ordinateurs sur l’ensemble des centres. Plusieurs dizaines de personnels ont d’ores et déjà reçu une formation SIG. Dans l’Allier, dans un département plus rural, le réseau Intranet est là aussi en passe de relier la direction, les 3 CSP, les 41 CS et les 21 CPI. « Le SIG est un outil performant et évolutif. Il permet d’obtenir les documents dont nous avons besoin par rapport à l’activité et aux contraintes du secteur. Nous pouvons voir les sens de direction des axes routiers, les hydrants les plus proches avec leur disponibilité et leur débit, ou encore les risques attenants à proximité du site » souligne le lieutenant Hervé Higonet, responsable du service prévision-opération du groupement Nord du Sdis de l’Allier. « Et contrairement à une carte classique, les données cartographiques du SIG peuvent être mises à jour en temps réel. Auparavant les plans se trouvaient sur des calques que nous devions corriger en les grattant avec des lames de rasoirs. Maintenant c’est l’époque de l’informatique… Le Sdis a fait l’acquisition de GPS portables : les agents vont en tournée de points d’eau et les géo-référence directement avec l’ordinateur portable… cela nous fait gagner beaucoup de temps ».

Un outil fédérateur pour parler le même langage
Dans des départements comme l’Allier où chaque groupement avait sa propre charte graphique, ses propres représentations et numérotations, le SIG a permis d’introduire des mode de plan, de traitement, de classement uniformes. « Grâce au réseau informatique et à l’acquisition du SIG, nous avons réussi à fédérer un certain nombre d’actions, par exemple en uniformisant les plans d’établissements répertoriés ou les plans parcellaires » explique le lieutenant colonel Noisette, directeur du Sdis de l’Allier. « Cela représente un grand intérêt, notamment quand nous sommes confrontés à de grosses interventions qui nécessitent la mobilisation d’agents qui changent de groupement, et qui n’ont donc pas à s’habituer aux nouvelles représentations puisqu’ils retrouvent toujours les mêmes sur l’ensemble du département. Nous parlons le même langage, ce qui facilite le travail en commun. Le SIG est un outil fédérateur ». De plus en plus de départements en sont convaincus, comme en témoigne la création en 2002 du réseau de spécialistes SIG des Sdis de la région Rhône Alpes Auvergne, ayant pour objectif de partager leurs expériences. Brice Gall, ingénieur informatique du Sdis de Haute-Savoie, en a été l’initiateur : « Il y a encore cinq ans, les pompiers n’étaient pas familiarisés avec la géomatique et les Intranet cartographiques. Mais ils ont suivi l’explosion informatique. Certains, comme le commandant Poppi, ont compris très tôt toute l’utilité de ce service transversal. Et puis le marché des bases de données cartographiques, qui étaient excessivement coûteuses, a complètement évolué ces trois dernières années : il y a eu une mise en concurrence et l’IGN n’est plus la seule susceptible de fournir les données géographiques. Les Sdis, comme les collectivités locales, ont pu bénéficier de cette ouverture. En ce qui nous concerne en Haute-Savoie, c’est le Conseil général qui nous les a fourni, moyennant un abonnement annuel. La géomatique, c’est un ensemble de méthodes et d’outils qui permettent de représenter, analyser, et restituer une information à caractère géographique. Les sapeurs-pompiers, qui s’organisent autour de territoires, ont tout à gagner en s’appropriant ces outils. L’enjeu maintenant c’est d’avoir une transversalité des différentes bases de données des services d’un même Sdis – administration, prévision, opération - et de les restituer sur une seule et même carte ». Une carte aux mille visages, évolutive et fédératrice.


Hugues Demeude