Hugues Demeude Journaliste reporter, auteur-réalisateur


CA M'INTERESSE (Extrait de l'enquête, janvier 2002)

Transports exceptionnels : Par où les faire passer ?

Grogne des habitants et des maires, restriction croissante des itinéraires, tracasseries administratives… Pour les transporteurs, l'organisation d'un convoi exceptionnel relève souvent du parcours du combattant. Et les coûts s'envolent.

Mobiles homes, bulldozers, cuves de 250 m3 et plus, bois de grume, carénages d'avion, bateaux, tunneliers, générateurs de vapeur, les convois exceptionnels offrent mille visages. La législation les définit ainsi : tout transport de 40 t, 16,5 m de long ou 2,5 m de large. Or, ces géants qui atteignent parfois 500 t souvent mal-aimés. "En France, on considère qu'ils sont perturbateurs, voire dangereux, et qu'il faut donc les écarter des grandes voies", constate Thierry Costard, PDG de la Scalès, leader du secteur. "Nos voisins ont un raisonnement différent. Pour eux, il convient de faire passer ces convois le plus vite possible. En Allemagne, ils prennent l'autoroute de nuit, avec une vitesse minimale imposée pour s'intégrer dans le trafic." En France, au contraire, les autoroutes leur sont interdites. Motif invoqué par les pouvoirs publics : la sécurité, à cause de leur trop faible vitesse.
Un autre spécialiste du secteur ajoute : "De tous les itinéraires ayant des ouvrages d'art, sur lesquels pouvaient passer, il y a quelques années, des convois de 180 t, voire interdits. Par exemple, le pont de l'Ouvèze sur la RN7, interdit en 1999 aux transports exceptionnels par le maire de Sorgues (Vaucluse), se trouve sur un itinéraire très important pour les convois de plus de 120 t, Désormais, on est obligé de mettre le "colis" sur une barge à Lyon et de le ressortir à Marseille. Cela coûte beaucoup plus cher."
Autre problème : la révolte d'un nombre croissant d'élus locaux. "Nous allons aménager le centre de notre commune de manière qu'il devienne un obstacle infranchissable pour les convois", annonce Alain Feugier, premier adjoint de la-Tour-Salvagny (Rhône), commune située sur un itinéraire incontournable pour les transports exceptionnels. "Nous allons réduire la chaussée à sa plus simple expression et renforcer les ronds-points". Jean-Paul Delevoye, président de l'association des maires de France, tempère : "Aucun maire, à ce jour, ne s'est durablement opposé à leur transit." Une façon de reconnaître, a contrario, que les blocages occasionnels se multiplient ! "Les maires n'essaient pas d'empêcher le passage des convois exceptionnels dans leurs communes, mais de les sécuriser" estime-t-il.
Alors, comment concilier raréfaction des itinéraires et hausse régulière de ces transports hors normes ?" Depuis dix ans, les clients demandent de plus en plus des pièces pré-assemblées", explique François Rebisky, directeur des achats de BSL, entreprise spécialisée en chaudrennerie. "Conçue sur un site, une pièce coûte beaucoup plus cher que si elle est fabriquée en atelier." Il faut donc souvent transporter des colonnes de 50 m de long pour 5 m de diamètre, des moteurs thermiques de 500 t, des cuves de 200 t, ou des colis larges de 6 m ! Chaque semaine, un spécialiste comme la Scalès achemine environ 6 chargements de plus de 100 t. Mais qui décide des itinéraires autorisés ? "Leur carte est établie après consultation des services de voirie, qui, localement, désignent les trajets les mieux adaptés", précise Jean-Louis Mignard, chargé du bureau de la sécurité à la Direction de la sécurité et de la circulation routière (DSCR). "La réglementation institue un régime d'autorisation préfectorale, proche du terrain, qui permet de gérer au mieux les contraintes." Le préfet de chaque département est chargé d'organiser une concertation locale. Sous son autorité, les agents de la Direction départementale de l'équipement (DDE) rappellent aux élus qu'ils doivent comprendre l'intérêt de conserver une chaussée de 6 m de large. Cependant, ils n'ont pas d'argument juridique à leur opposer : aucune jurisprudence administrative n'existe sur la circulation des transports exceptionnels, comme c'est le cas pour les poids lourds classiques.

Ce système décentralisé se traduit par d'importantes différences entre les départements. Certains spécialistes de montages de dossiers témoignent : "Quelques départements frontaliers gèrent beaucoup de dossiers et sont parfois rigides sur leur recevabilité. Même si un dossier est complet, on n'obtient jamais d'autorisation avant quatre, voire six semaines. Globalement, il y a plus de bonnes relations que de mauvaises, mais quelques départements bloquent. Et comme on est tenu d'avoir l'avis de chacun des départements traversés, cela peut très rapidement se gripper. Si vous allez de Marseille à Lille, il faut que les 17 ou 18 départements traversés donnent leur accord !" Dans certains cas, la lenteur de la délivrance des autorisations de circuler par les agents de la DDE peut rendre très difficile l'organisation d'un transport, Cela oblige les industriels à avoir une planification très précise pour respecter des dates : si un convoi prend un, deux ou trois jours de retard, le bateau vers lequel est acheminé la cargaison n'attend pas gratuitement… Cela peut vite coûter cher…
Toutefois, un récent arrêté interministériel, qui fixe les modalités d'application du décret du 21 décembre 2000, va instituer une plus grande homogénéité des procédures, ainsi que des sanctions plus sévères contre les transporteurs ne respectant pas les autorisations (jusqu'à 3 050 euros d'amende en cas de récidive). Sans doute permettront-elles de combler le déficit de communication entre les professionnels du transport et l'administration. Mais le dialogue avec les élus locaux et les habitants reste, quant à lui, aux abonnés absents.

Hugues Demeude