Hugues Demeude Journaliste reporter, auteur-réalisateur


GEO (hors série) (mai 2002)

NAC, tout un zoo en folie au cœur des villes.

Singes, iguanes, serpents et mygales… Ces nouveaux animaux de compagnie sont à la mode. Mais lorsqu'ils s'échappent, c'est aux pompiers de les récupérer !

En ce jour de printemps 1997, l'escapade de la couleuvre d'Amérique, sur les trottoirs de Boulogne-Billancourt, fut de courte durée. Réquisitionnée par les forces de police, l'équipe cynotechnique des pompiers de Paris eut tôt fait de récupérer le reptile. Les pompiers de cette unité localisèrent ensuite le studio d'où il s'était enfui. En y pénétrant, ils s'arrêtèrent, frappés de stupeur : boa, crotale, vipère aspic... Au total, une dizaine d'ophidiens dont plusieurs manifestement venimeux, s'ébattaient dans des cages vitrées ! Le caporal-chef Carmelo Tambuzzo frissonne encore au souvenir de leur capture : " Je venais de déposer un bottrop dans une caisse. Ce serpent tue des milliers de personnes chaque année au Brésil. J'ai juste eu temps de retirer ma main avant que ses crochets ne frappent le couvercle. Sans ce réflexe, j'aurais effectué mon ultime intervention. "
A Saint-Denis, basé au fort Labriche, le groupe cynotechnique parisien a initialement été créé pour rechercher des personnes ensevelies à l'aide de chiens de décombres. Depuis 1995, ses sept sapeurs-pompiers sont, en outre, chargés de neutraliser les animaux dangereux. L'année dernière, ils ont effectué pas moins de cinq cent cinquante interventions de ce type dans la capitale et la petite couronne. La plupart des animaux visés sont des chiens et des chats menaçants et, dans une moindre mesure, des spécimens communs de la faune sauvage européenne (furets, renards, sangliers...), égarés en pleine ville. Toutefois, un nombre croissant d'interventions concernent ce que les vétérinaires ont appelé les NAC, ou nouveaux animaux de compagnie. Originaires de pays exotiques, ces derniers sont la plupart du temps achetés dans des boutiques spécialisées, quand ils ne sont pas importés illégalement. Serpents, iguanes, singes, arachnides... Autant d'espèces potentiellement agressives, qui se retournent un jour contre leurs propriétaires ou fuguent dans le voisinage. Du coup, récupérer une mygale, un scorpion ou même un varan dans une cage d'escalier ou sur la chaussée est devenu une tâche familière pour les sapeurs-pompiers. " Notre équipe animalière est l'une des plus performantes au monde, souligne son responsable, le sergent-chef Olivier Jondeau. En France, nous avons été des pionniers dans le domaine de la capture d'animaux dangereux, et en particulier des NAC."
L'unité parisienne a d'ailleurs servi de modèle à la vingtaine de groupes du même genre, aujourd'hui répartis sur l'ensemble de l'Hexagone. Chacun d'eux est supervisé par un vétérinaire, qui enseigne aux pompiers les bases du comportement animal, et participe aux opérations les plus délicates, notamment celles qui nécessitent l'usage du fusil anesthésiant. Le vétérinaire encadre aussi les entraînements. Pour s'exercer à la contention d'animaux récalcitrants et à la manipulation de reptiles, les pompiers de Paris se rendent régulièrement au zoo de Vincennes et dans les vivariums de la région.
La mode aidant, le phénomène des nouveaux animaux de compagnie prend de l'ampleur. Le lieutenant-colonel Dominique Grandjean, vétérinaire biologiste en chef à la brigade de sapeurs-pompiers de Paris, s'inquiète : " La population réelle de ces animaux est impossible à évaluer, car leurs propriétaires ne les déclarent pas toujours aux services. Nous savons ainsi qu'il y a des fauves à Paris, mais ils sont difficiles à répertorier. L'an dernier, nous avons capturé soixante-quinze NAC, principalement des serpents, des iguanes et des singes. Cependant, nous sommes de plus en plus confrontés à des espèces de taille exceptionnelle. " En août 2000, les hommes du sergent-chef Jondeau se sont ainsi retrouvés aux prises avec un python molure long de 7 mètres et pesant 60 kilos ! Le reptile s'était échappé de son terrarium aménagé dans un pavillon de Villeneuve-le-Roi, en Seine-et-Marne, par son propriétaire alors parti en vacances. Alertés par un voisin, les sapeurs-pompiers ont eu toutes les peines du monde à maîtriser le monstre doté d'une force herculéenne.
Pour ces spécialistes, le pire est encore à venir. Les amateurs n'hésitent plus en effet, à se procurer des animaux exotiques par des moyens détournés en toute illégalité. La présence de singes magots en milieu urbain est un exemple, parmi d'autres, de ce trafic clandestin. Originaires du Maroc, ces primates sont protégés par la Convention de Washington qui réglemente le commerce et les importations d'animaux. Olivier Jondeau raconte : " Au début, leurs propriétaires les traitent comme des bébés. Mais au début de quelques mois, ils déchantent, car ces singes, en devenant adultes, développent une grande agressivité. L'an dernier, nous en avons capturé six : ils s'étaient échappés, ou bien on s'en était débarrassé. Quoi qu'il en soit, ils représentent un réel danger pour la population. "
En raison des risques que les animaux font courir, toute intervention doit s'effectuer dans l'heure qui suit l'appel au secours. Pour cela, les pompiers disposent d'un matériel adapté à chaque type de capture : tenue de protection de cinq centimètres d'épaisseur contre les morsures, filets, perches avec lasso, pinces, crochets. Et surtout, un pistolet et un fusil hypodermiques pour l'anesthésie à distance. Olivier Jondeau précise : " Face à un pit-bull, on peut rester maître du jeu en imposant son autorité. Mais un sanglier ou un singe sont des animaux très mobiles qui nécessitent la mise en place d'un large périmètre de sécurité. Le seul moyen de les stopper est de les endormir avec des fléchettes, sous contrôle vétérinaire. "
Malheureusement, la spécialité d'équipier animalier n'est pas reconnue dans les textes réglementaires. La constitution d'un groupe au sein d'un service départemental d'incendie et de secours (SDIS) est laissée à la libre appréciation de son directeur. A Lyon par exemple, ce type d'intervention n'est pas considéré comme faisant partie des missions des sapeurs-pompiers. Les vétérinaires s'insurgent contre ce manque d'intérêt. Ils soulignent que les NAC, en particulier ceux importés illégalement, peuvent être porteurs de graves maladies virales. Olivier Jondeau insiste : " Les primates, notamment, sont de véritables vecteurs d'épidémies. Quand nous en capturons un, nous le soumettons à une expertise vétérinaire, qui conduit parfois à sa mise en quarantaine. " En ce sens, les équipes animalières oeuvrent aux avants-postes d'un réseau national de veille sanitaire visant à sécuriser les populations. La découverte dans le Gard, en 1998, d'un cas de rage, diagnostiqué sur un chien importé clandestinement du Maroc, en est une parfaite illustration.

Hugues Demeude