Hugues Demeude Journaliste reporter, auteur-réalisateur


Couleurs Voyage (mai 1998)

La Norvège, l'éloge du naturel.

Occupant la partie occidentale de la péninsule scandinave, le territoire norvégien s'étire le long de la mer du nord et de l'océan Atlantique sur près de 2 200 km d'un littoral réchauffé par le Gulf Stream. Long et étroit, découpés par des fjords entourés de montagnes, la Norvège est un pays de grands espaces dans lesquels s'épanouit une nature sauvage tout à fait fabuleuse. Ses habitants, qui vivent dans un rapport de grande proximité avec cet éden vivifiant, préserve un art de vivre qui les fait évoluer en bonne harmonie avec les richesses que leur prodigue cette nature généreuse.


17 mai 1998. Par un beau jour de printemps, un cortège ininterrompu de personnes joyeuses, à l'unisson d'une même ferveur spontanée, sillonne les artères de Oslo. Le drapeau national, représentant une croix bleue bordée de blanc sur fond rouge, est brandi avec fierté par la plupart d'entre eux. Les scènes de liesse, comme partout ailleurs dans le pays, rythment le défilé des enfants qui, fanfares en tête, progresse sur l'avenue principale Karl Johan menant au palais royal. La célébration du 17 mai, qui commémore simultanément la déclaration d'indépendance du 17 mai 1814 marquant la dissolution de l'union avec le Danemark ainsi que l'adoption d'une propre constitution, est une fête nationale d'une grande importance qui permet aux citoyens de se retrouver ensemble pour affirmer une identité commune au particularisme revendiqué. Royaume millénaire inauguré et constitué par les Vikings, la Norvège, aujourd'hui forte de 4 millions et demi d'habitants, est une monarchie constitutionnelle et une démocratie parlementaire ayant Oslo pour capitale.
Loin des visions du peintre Edvard Munch qui la représentait souvent au début du siècle comme une ville lugubre, Oslo est au contraire très vivante, et ce pas seulement le 17 mai. C'est une cité où il fait bon vivre, d'abord parce que le Gulf Stream et les vents d'ouest créent des conditions climatiques qui ne diffèrent guère de celles connues sur le continent, ensuite parce qu'elle est dotée d'une nature en tout point remarquable que lui confèrent à la fois le fjord au bord duquel elle est édifiée et les collines boisées qui l'entourent. Habitée par à peine 500 000 personnes, elle reste à taille humaine, avec un centre compact qui permet d'atteindre tous les lieux de réjouissances sans être tributaire des transports. Et ces lieux ne manquent pas ! Qu'ils soient culturels, avec les nombreux musées dont disposent la ville, familiales, à la faveur des nombreux sites de sport et loisir, ou festives, en prenant en compte la multitude de bars et de discothèques, Oslo peut s'avérer tout à fait trépidante pour qui veut rentrer dans la danse. Ou qui peut... En effet, c'est une ville qui fait partie des cinq plus chères au monde, ce qui impose de calculer son budget.
Attachée à son statut de plus ancienne capitale nordique, Oslo est donc le phare méridional d'un pays composé de 19 départements. Oblongue dans sa forme, étirée sur 2 200 km de côtes qui font face à la mer du Nord, la Norvège a pour double caractéristique géographique d'avoir un des territoires les plus septentrionaux du globe, et d'être avec ses montagnes, ses vallées, ses fjords et ses îles, tout en reliefs.
Très ancienne d'un point de vue géologique, la Norvège est un jeune pays qui s'est reconverti en quelques décennies seulement, et de façon décisive au cours de la dernière, pour faire évoluer son économie traditionnelle, limitée aux industries manufacturières de la pêche et au secteur agricole, vers une économie moderne actionnée par les services et les industries de haute technologie liées à l'exploitation du pétrole.
Ce qui reste néanmoins invariant dans l'évolution de cet attachant pays, fortement marqué par les particularités d'un littoral à la ligne de côte déchiquetée, aux eaux poissonneuses, et à l'étroite frange côtière qui a attiré dans l'histoire de la répartition démographique de la Norvège les 4/5 de la population, c'est qu'il continue de vivre, de se développer en se tournant vers la mer.

Un pays d'épopées tourné vers la mer
" Regardez ! Depuis ce point de vue, c'est toute la Norvège en condensé que l'on peut contempler : mer du Nord, nature verdoyante, fjords, îles, collines et montagnes ! " s'exclame Vivit, femme tonique d'une quarantaine d'années dont nous avons fait la connaissance peu de temps avant qu'elle nous propose de découvrir ensemble sa ville. Ce superbe panorama sur Stavanger, c'est la tour de télécommunication Ullandhaug qui le propose. " Il ne faut pas oublier que c'est par Stavanger que la Norvège des fjords commence ", semble s'enorgueillir Vivit. Les fjords, ces anciennes auges glaciaires envahies par la mer, sont aujourd'hui l'emblème d'un patrimoine national fièrement préservé, comme pourrait l'être un bijou de famille à haute valeur sentimentale. Et pour cause ! Les fjords ont dessiné de telle manière la frange côtière de la Norvège qu'elle ressemble à une broderie. Illustration : si l'on met bout à bout tous les fjords de Norvège, on peut faire en distance se rejoindre le pôle Nord et le pôle Sud. A Stavanger, il y a au moins deux fjords qui justifient cette distinction dont s'honore la ville. Long de quarante deux kilomètres, le Lysefjord fait partie des incontournables excursions pour qui est de passage dans cette région. Il dévoile dans toute son étendue une nature généreuse mise en valeur par au moins cinq éléments : une eau émeraude qui remplit un volume considérable ; une roche massive aux à-pics impressionnants ; une végétation très présente qui pousse à même la pierre ou dans les interstices créés par des failles ; l'air qui est très vivifiant ; enfin, la lumière qui réveille soudain tel ou tel élément encore inaperçu. Le Hafrsfjord, quant à lui, est célèbre non pas tant par la beauté de son environnement mais surtout par l'importance historique qu'il revêt. " C'est sur les berges de ce fjord que les différents clans viking furent réunis en 872 par Harald à la belle chevelure. C'est à cet endroit que la Norvège fut rassemblée pour la première fois ! ", nous apprend Vivit. Trois immenses épées de pierre enfoncées dans le sol, qui commémore la victorieuse bataille ayant permis à Harald d'unifier son royaume, rappelle aux habitants de Stavanger leur glorieuse ascendance. Aujourd'hui néanmoins, la quatrième ville du royaume dirigé par sa majesté le roi Harald et sa majesté la reine Sonja, n'attire pas les nombreux étrangers qui résident en son sein à cause de ce haut fait historique. Si la capitale du Rogaland est tellement attractive, c'est qu'elle est devenue le principal centre pétrolier du pays. La Norvège, qui est en effet l'un des premiers exportateurs de pétrole du monde et le plus important fournisseur de gaz naturel du marché européen, a su tirer un profit considérable de la découverte de gisements pétrolifères sur toute l'étendue de son plateau continental. Avec les implantations sur son sol de la compagnie pétrolière nationale Statoil, de l'institut norvégien du pétrole, et d'un grand nombre de firmes étrangères, Stavanger est passée du stade de belle ville maritime réputée, pour son art de vivre et ses anciennes sardineries, à celui d'une cité cosmopolite vivante forte de cent mille habitants. Le sort de Stavanger reste lié à la mer. " Après l'épopée de la pêche aux harengs qui a marqué l'histoire de la cité, puis celle des conserveries de sardines au tournant du siècle dernier, la mer a été décisive pour la troisième fois dans l'essor de la ville. Le pétrole est un formidable gisement d'emplois et d'activités " résume notre guide. Autour de son port, le visage de cette vieille cité a conservé son charme d'antan. L'alignement d'entrepôts à pignons, mais aussi les 173 maisons de bois qui représentent le plus vaste ensemble architectural de ce type en Europe, ainsi que la cathédrale bâtie en 1125 dans le style anglo-saxon, y participent grandement.

La porte d'entrée des fjords
Après avoir constitué le seul moyen de liaison entre les différentes villes de la côte, la mer demeure un axe de communication privilégié. Pour se rendre à Bergen, l'ancienne capitale norvégienne qui est aujourd'hui la deuxième ville et le deuxième port du pays, la navette maritime est toute indiquée. Durant les quatre heures de trajets, les paysages qui s'offrent au regard sont très variés : îles au relief de collines, rocailleuses mais aux doux contours ; côtes escarpées couvertes de conifères et de feuillus ; rivages dont l'à-pic rocheux plonge dans la mer... A l'approche de Bergen, deux éléments ressortent particulièrement : sa topographie, qui est caractérisée par sept collines sur lesquelles cette ville de 220 000 habitants s'est développée ; ses quais, du moins sur une berge, qui irradient sur le port à la faveur de ses maisons de bois aux couleurs chatoyantes. De vieux quais en vérité puisqu'ils constituent l'héritage des entrepôts que les commerçants germains de la Hanse avaient établi alors qu'ils étaient devenus maître des lieux du XIVème siècle au XVIème siècle. Bergen s'est donc développée autour de l'activité maritime. " Avant il était plus facile de prendre la mer pour aller en Angleterre ou en France que de franchir les montagnes pour se rendre à Oslo ", nous confie Toby, jeune norvégienne qui a grandi, fait ses études et trouvé un travail à Bergen, et qui, comme tous les habitants, semble avoir une grande affection pour cette cité côtière. On dit d'ailleurs souvent que les Berguenois, ce qui leur est même reproché, considèrent leur ville comme leur vraie patrie. " Je ne suis pas Norvégien, je viens de Bergen ", pourrait être une de leur formule, sans doute déjà prononcé par leurs ancêtres. A l'époque où la mer était pour beaucoup de citoyens la garantie d'une source de revenus important. Le poisson arrivait du nord, le blé du sud, et une fois les affaires conclues, les bateaux étaient chargés avant de prendre la direction de l'Europe. Aujourd'hui, la mer continue d'être une référence pour cette ville portuaire qui a su se parer de somptueux atours aux fils des années. Même si la pêche et ses dérivés est un secteur important, ce sont surtout le développement des plates-formes pétrolières d'une part, et le trafic des grandes routes maritimes de la mer du Nord, qui continuent de faire de Bergen une ville phare. C'est par exemple de son port que partent les navires de l'Express côtier Hurtigruten. Ceux-ci réalisent un circuit de douze jours qui conduit ses participants au Cap nord puis à Kirkenes, tout près de la frontière avec la Russie, avant de revenir à leur point de départ. Une croisière qui à juste titre est considérée comme l'une des plus belles du monde. De ce fait, Bergen attire de nombreux touristes qui combinent une halte plus ou moins prolongée dans la ville avec un long voyage ou alors avec des excursions dans les fjords, qui sont très nombreux dans la région.

En remontant la frange côtière vers le nord, on atteint une très belle petite ville qui affiche elle aussi fièrement ses traditions maritimes. Alesund, qui a fêté l'an passé le cent cinquantième anniversaire de son existence, a en effet pour armoiries un bateau de pêche dirigé par quatre marins sous lequel nagent trois poissons. La ville, longtemps condamnée par ses deux puissantes rivales, Bergen au sud et Trondheim au nord, à n'avoir qu'un rôle secondaire dans l'activité portuaire, a pu se libérer de cet étau infructueux et se faisant elle est devenue le plus grand port de pêche de Norvège. Mais curieusement, cet aspect de Alesund n'est pas le premier que l'on retient en la visitant. Petite ville de 38 000 habitants, elle a subi un incendie dévastateur en 1904 qui a été le point de départ d'une reconstruction dans le style art nouveau international que l'on ne retrouve nulle part ailleurs en Norvège. Semblant tout droit sorties d'un conte médiéval, certaines maisons richement colorées et décorées contribuent à donner un cachet très particulier à la ville. Un charme qui est rehaussé par sa disposition au sein de son milieu. Ville côtière aux allures d'archipel, elle est entourée à la fois par la mer et par de petites îles montagneuses aux formes étranges. Des montagnes avec lesquels tout habitant apprend à vivre, c'est à dire à respecter et même peut-être encore pour certains à craindre. " Une légende populaire connue par chaque enfant raconte qu'après un mariage bien arrosé entre trolls ( petits génies difformes propres aux pays scandinaves), les convives ne purent regagner leur demeure avant le lever du soleil, ce qui a eu pour résultat de les transformer en pierre. Depuis lors, les montagnes dont les formes dégagent une curieuse impression sont considérées comme des trolls statufiés. Certaines montagnes des environs de Alesund ont cette réputation " nous raconte Silje, une jeune femme native de cette ville. Elle ajoute : " Ce qui n'est pas un conte, et ce que vous devez savoir en tant que français, c'est que les différentes îles qui constituent aujourd'hui notre espace urbain étaient au IXème siècle le territoire d'origine du viking Rollon. Cela ne vous dit rien ? Pourtant, c'est le chef viking qui, après avoir été banni par Harald à la belle chevelure, fit de grands raides sur la France, et obtint l'administration de la Normandie dont il devint le premier comte ".

Une tradition millénaire de pêche
Si Alesund est devenue le premier port de pêche de la Norvège grâce à la capture et au conditionnement de la morue, les îles Lofoten, situées bien au dessus du cercle polaire entre les latitudes 67 et 68, revendiquent la tradition de cette pêche particulière. Depuis 900 ans en effet, les pêcheurs attendent chaque hiver le retour des morues qui arrivent de la mer de Barents pour frayer dans le Vestfjord. A l'image de l'ensemble des eaux sur laquelle la Norvège exerce sa souveraineté, qui comptent parmi les plus poissonneuses du monde, les eaux des Lofoten ont toujours été réputé pour leur richesse halieutique. La vie de cet archipel, regroupant six îles sur 170 km de long, et même d'une certaine mesure de la région entière puisque les pêcheurs venaient en nombre chaque hiver de tout le Nord de la Norvège, s'est organisé autour de cette activité. Une vie qui était bien sûr rude et dangereuse pour les quelques 40 000 pêcheurs qui venaient gagner leur vie de janvier à avril grâce aux ressources de la mer. Aujourd'hui, il ne reste plus que 4 000 marins, mais à partir de la ville principale Svolvaer tous les charmants petits villages, qui se succèdent de loin en loin sur les côtes de ces îles, ont profondément gardé l'empreinte de cette existence tournée vers la mer. Les cabanes de pêcheurs appelées rorbus, qui sont souvent proposées en location aux touristes, les chalutiers qui stationnent dans les petits ports, les constructions en rondins de bois croisées sur le bord des routes, qui sont destinées à permettre le séchage de la morue au printemps, sont autant de fenêtres sur la réalité d'un monde simple, beau et sans artifice.

En longeant à nouveau les côtes vers le nord, c'est à dire en s'immisçant dans des couloirs maritimes formés par deux îles proches du littoral ou bien par la proximité d'une île avec la ligne continentale du rivage, on parvient en quelques heures d'Express côtier à Tromso, considérée comme la capitale du nord de la Norvège. En fait, Tromso, cette ville très festive de 52 000 habitants qui a la particularité d'avoir l'université et la cathédrale les plus septentrionales du monde, a reçu plusieurs appellations : 'le Paris du Nord' du fait de l'élégance de certaines de ses dames que les voyageurs pouvaient découvrir au début du siècle ; 'le plus grand village de pêcheurs du monde' à cause du nombre important de navires qui faisaient escale pour aller pêcher dans l'océan glacial arctique ; 'la cité arctique', notamment en vertu du développement d'un pôle de recherche consacré à l'étude de tous les phénomènes liés au grand Nord, qui trouvent une représentation pédagogique au très intéressant musée polaire récemment créé ; 'la porte de l'Arctique' car c'est depuis Tromso que s'élancent toutes les expéditions polaires depuis plus d'un siècle. C'est par exemple depuis cette ville dont il était originaire que Elling Carlsen partit faire en 1863, pour la première fois, le tour des Spitzberg. Depuis, de nombreux étrangers sont venus s'installer dans cette ville qui est sans aucun doute la plus fantasque de toute la Norvège. " Cent vingt nationalités sont représentées à l'université de Tromso " nous apprend Marie, qui est venue d'Oslo pour travailler comme responsable au sein du comité de tourisme. Elle ajoute : " C'est une ville cosmopolite qui est ouverte de façon générale. Vers la mer et le pôle bien sûr, mais aussi sur les étrangers et ce qui n'a pas forcément toujours été le cas avec toutes les villes du Sud par le passé, c'est une cité qui a ouvert ses portes aux Lapons. Ou plutôt aux Sami, car comme vous le savez peut-être, 'lap' signifie 'petit morceau', ce qui n'est pas très gentil pour les représentants de ce peuple dont le royaume s'étendait autrefois sur toutes les parties septentrionales de la Norvège, Suède, Finlande et Russie, et dont la culture traditionnelle était intimement liée à l'élevage de rennes. Tromso est également une ville ouverte sur l'espace sidéral et sa mécanique céleste. A la faveur de la nuit d'hiver, qui succède au soleil de minuit, de splendides aurores boréales, quand on a la chance d'avoir toutes les conditions météorologiques réunies pour les voir, électrisent le ciel en striant la voûte céleste d'une teinte verdâtre qui tire quelquefois au pourpre et au violet. C'est complètement magique.
" L'émotion intense que procure ce phénomène lumineux caractéristique de la région polaire peut être réactivée en faisant l'effort d'aller encore plus nord, en atteignant le point le plus septentrional d'Europe : le Cap Nord. Situé sur la latitude 71, la dernière majestueuse falaise s'avance tel un promontoire dans la mer. Venue de sa lointaine Italie, Pietro Negri écrivait déjà en 1664 : " Me voici donc au Cap Nord, à l'extrème pointe du Finmark, au bout du monde. Ici, où le monde finit, finit aussi ma curiosité. Je rentre comblé chez moi."

Le royaume de la nature
Parmi tous les atouts qui font de la Norvège une destination captivante, le patrimoine naturel, immense et varié, ravit immanquablement tous les voyageurs en leur assurant des vacances inoubliables. Côtes ciselées et fjords profonds, montagnes majestueuses et forêts omniprésentes habitent des paysages sans cesse surprenants. La diversité de cette nature généreuse, qui devient sublime à force d'exubérance et de variations, est un trésor que chaque Norvégien chérit avec dévotion. L'essentiel n'étant pas de lui célébrer un culte béat mais bien plutôt de nourrir un art de vivre qui présuppose d'évoluer en bonne harmonie avec les richesses qu'elle prodigue.

" Ici, la nature est si parfaite ! "
L'un des principaux signes distinctifs propre à cette nature se manifeste dans l'étroite relation qui unit la mer et la montagne. Avec une frange côtière réduite à sa portion congrue, la montagne semble ainsi tout juste sortie des eaux de la mer sur la plus grande partie du littoral. Mais plus encore, la proximité de ces deux éléments est assurée même loin à l'intérieur des terres à travers les célèbres fjords. Anciennes vallées glaciaires, ces phénomènes naturels de toute beauté sont les traces vivantes des épisodes géologiques qui ont contribué à forger l'actuel territoire norvégien. L'énorme calotte glaciaire qui recouvrait la Scandinavie il y a 30 000 ans s'est progressivement mise à fondre. Conséquence de cette fonte, des masses épaisses, chargées de rocs et de sable, ont été libérées et se sont lentement écoulées vers la mer. Elles ont creusé le relief, raclé les vallées, entaillé le sol tant et si bien que les vastes sillons formées par ses passages successifs sont devenues aujourd'hui des golfes permettant aux eaux marines de s'enfoncer profondément à l'intérieur des terres. Ces bras marins, aux allures de longs lacs sinueux et alanguis qui semblent sommeiller entre des parois rocheuses souvent à pic, peuvent en effet pénétrer jusqu'à 200 kilomètres dans les terres, à l'instar du Hardangerfjord et du Sognefjord. Dans ces conditions, toute la vie s'organise autour d'eux. Beaucoup de petites villes par exemple ont été édifiées depuis l'époque viking autour des fjords qui servent alors d'axes de communication, notamment grâce aux très nombreux bacs qui, d'une berge à l'autre, transportent automobiles, autocars et autres camions. Partout également, des petits chalets isolés, nichés sur les flancs des montagnes plongeant dans les eaux profondes, et souvent accessibles uniquement par bateaux, servent de résidences secondaires aux Norvégiens qui en sont friands. A tel point que les régions traversées par les grands fjords sont devenus pendant les beaux jours le paradis des plaisanciers.

La proximité de la mer et de la montagne, qui est le trait caractéristique du relief norvégien, donne lieu à des paysages variés d'une grande beauté. Parmi les itinéraires qui permettent d'appréhender la grande variété de paysages qui peuvent se succéder en quelques kilomètres seulement, la route des neiges qui relient les fjords Laerdal et Aurland dans la région Sogn of Fjordane, au coeur du pays, est tout à fait saisissante. Sur soixante trois kilomètres, elle offre la vision de mondes tellement changeants qu'on les dirait appartenir à des pays différents. Cela commence par une montée qui s'effectue à travers le flanc d'une montagne boisée par des arbres aux espèces variées. Au fur et à mesure de l'ascension, la végétation qui était dense sur la première partie s'amenuise. Les conifères et les espèces courantes de feuillus disparaissent, laissant le terrain à de petits arbres robustes qui ressemblent à des bouleaux. Présents en nombre, ils disparaissent à leur tour passé un certain niveau d'altitude. A ce stade, la montagne n'a plus qu'un manteau où coexistent buissons, grosses pierres, mousses et touffes d'herbe grasse. Certains panoramas permettent d'apprécier la vallée en contrebas qui apparaît enveloppée dans un vert soutenu. En poursuivant la route, les buissons et les mousses s'évanouissent. Le paysage qui se déploie alors sur de nombreux kilomètres est totalement lunaire. De grosses pierres recouvertes de lichens, qui semblent avoir été égrainées sur le sol par un quelconque titan, parsèment une sorte de désert minéral tout juste rafraîchi par des étendus d'eau, ici une mare et là un petit lac. Encore plus loin, juste avant de basculer de l'autre côté de la montagne, en direction de Aurland et de Flam, l'environnement se transforme à nouveau. Ressemblant à une image que l'on peut avoir de l'Irlande ou des Shetland, il offre l'aspect de la peau râpée d'un manteau mi végétal mi rocailleux. Ceci en été bien sûr car les premiers froids d'hiver venus, ce manteau blanchi à mesure que les neiges recouvrent la route qui en prend l'appellation.
Beaucoup d'autres endroits en Norvège offrent une telle variété de paysages. Les îles des Lofoten et des Vesteralen font parties de ces sites attachants qui respirent la majesté. Constituées des plus anciennes roches du monde qui ont fait de ces langues de terre une destination aujourd'hui particulièrement prisée par les touristes, les montagnes, plus ou moins escarpées, plus arrondies que saillantes, semblent littéralement plonger ou s'extraire, selon la perspective pour laquelle on préfère opter, de la vaste étendue d'eau plane, parfois à peine ridée par le vent, qui les entoure et les isole du continent. La course des nuages, toujours en mouvement, donne de la matière au ciel, en accentuant une dimension tantôt onirique et fantastique, tantôt dramatique. A la faveur de la lumière que le soleil distribue souvent de façon déconcertante, les nuages prennent une forme et une consistance telles que l'on dirait qu'ils ont été placés à cet endroit précis de façon intentionnelle, pour équilibrer le paysage et lui donner un supplément de vie. Quand le soleil est très présent, la lumière qu'il diffuse permet de saisir avec netteté les montagnes dans tout leur éclat, leur dimension, et leur gravité. Quand il est voilé par les nuages, les montagnes semblent se camoufler derrière leur silhouette massive, et on ne s'attache plus alors qu'à appréhender la courbe formée par la succession des arrêtes. De loin en loin, un village se déploie sur le flanc de la montagne ou de la colline, à l'endroit même où celle-ci plonge dans la mer. Descendants d'un peuple de marins, les villageois ont depuis longtemps livré leurs destinées aux aléas de la vie maritime. Les maisons, bien souvent construites sur pilotis, sont comme des touches de couleurs qui viennent renforcer ce sentiment étrange d'évoluer dans un tableau patiemment confectionner par la toute puissante nature.

A bien des égards et à juste titre, la Norvège est souvent comparée à un éden aux particularités vivifiantes. Autant pour le corps que pour l'esprit. C'est qu'ici, rien n'est comme ailleurs. Régis Boyer, spécialiste de la littérature et de la civilisation scandinaves, évoque cet aspect dans l'introduction à la nouvelle édition des romans du grand écrivain norvégien Knut Hamsun : " Il n'est pas nécessaire d'avoir une grande imagination lorsqu'on évolue parmi les fjelds et les fjords : le paysage en a pour vous. Ses formes fantastiques, ses détours impensables, ses perspectives d'aube des temps passent tour commentaire. Que ce soit en hiver ou en été ". L'excellence de la lumière, qui transfigure toute chose, la qualité de l'air, qui fait de la respiration un véritable plaisir, ou bien encore la fraîcheur tonique de l'eau présente partout sous des formes variées - eaux marines des fjords, eaux vives des torrents et des nombreuses cascades, des lacs, des neiges et des glaciers - concourent à faciliter la restauration des forces physiques et mentales, favorisent l'équilibre intime, font tout simplement se sentir bien.

Se sentir en harmonie avec la nature
" Il n'y a pas de mauvais temps, il n'y a que des mauvais vêtements " suggère un dicton norvégien très fameux. Grandiose et majestueuse, la nature est aussi exigeante et parfois capricieuse : les pluies répétitives qui arrosent Bergen, les tempêtes qui peuvent s'abattre sur certaines parties du littoral, la noirceur bleutée de la longue nuit d'hiver qui, passé une certaine latitude, succède à la longue journée marquée, selon l'expression de Bernard Clavel, par le 'soleil de nuit', ou encore la rudesse des conditions climatiques de la toundra au nord du pays... La nature est souvent excessive, mais les Norvégiens ont appris l'humilité. S'il vaut mieux changer ses désirs que l'ordre du monde, ils ont su se transmettre un art de vivre en bonne harmonie avec leur milieu, un savoir-être en accord avec leur environnement.
" Pourquoi a t-on peint notre hôtel en rouge ? C'est tout simplement pour l'harmonie avec la nature " me répond Ole, le jeune gérant du seul hôtel de Turtagro. Il ajoute : " Ici, nous sommes au coeur de la montagne, avec 24 pics accessibles de plus de 2 000 m d'altitude. Comme vous le voyait, l'été nous sommes entourés par le vert des versants, et l'hiver évidemment par du blanc. Dans un cas comme dans l'autre, je trouve que le rouge se marie bien. Dans le temps, les maisons avaient généralement une façade blanche parce que c'était le plus joli, le plus chic. Aujourd'hui, même si le blanc et le jaune sont souvent employés, le rouge est la couleur la plus courante ". La maison est un bon indicateur de ce rapport qu'entretient les Norvégiens avec la nature. La plupart du temps, elle est construite en furu, c'est à dire en pin. Très solide, elle a pour propriétés essentielles d'être vivante, de respirer, et de bien répondre aux aléas climatiques. L'immensité des forêts norvégiennes et une remarquable connaissance du bois ont en effet permis à la tradition populaire de faire reposer l'architecture sur l'utilisation du bois. Les églises en bois debout, dont il ne reste malheureusement plus que 30 spécimens sur les 750 qui avaient été édifiées pour la plupart au XIIe siècle, le vieux quartier de Stavanger, les quais de Bergen, les rorbus, ou plus simplement les chalets de Lillehammer, en sont de parfaites illustrations. Comme le dit l'adage, " maisons et chalets, point de châteaux ". Le chalet est le point de départ du loisir le plus apprécié des Norvégiens : la randonnée. A ski l'hiver, à pied l'été, les randonnées en montagnes ou en forêt sont un véritable rituel familial qui témoigne d'une quête irrépressible de qualité de vie.

Afin de construire toutes ces maisons et tous ces chalets tant prisés, il est nécessaire d'abattre une grande quantité d'arbres. Même si la forêt norvégienne s'étend sur 12 millions d'hectares, soit 37% des terres du pays, l'abattage annuel de bois représente environ 50% de la croissance annuelle brute de 20 millions de stères. Une politique en matière de conservation et d'utilisation durable des ressources forestières organise scrupuleusement depuis quelques années la gestion de la forêt. Tout comme le prévoit une stratégie nationale pour une politique globale de l'environnement. Il faut du reste se souvenir que l'ancien premier ministre Gro Harlem Brundtland, qui a été la présidente de la Commission pour l'environnement et le développement des Nations unies, a joué un rôle important pour améliorer la coopération internationale sur les questions environnementales. C'est elle notamment qui a donné de l'ampleur à la notion de développement durable, qui a été ensuite repris comme thème majeur de la conférence de Rio en 92. Rien d'étonnant serait on enclin à penser que l'écologie soit une préoccupation nationale puisque la nature occupe une place prépondérante dans l'identité norvégienne.

Une société à visage humain
Dans une Saison en enfer, Arthur Rimbaud écrit " J'ai de mes ancêtres gaulois l'oeil bleu blanc, la cervelle étroite, et la maladresse dans la lutte. (...)D'eux, j'ai : l'idolâtrie et l'amour du sacrilège ; - oh ! tous les vices, colère, luxure, - magnifique, la luxure ; - surtout mensonge et paresse ". Tout comme il est à espérer que peu de Français se reconnaissent aujourd'hui dans cette identification rimbaldienne, peu de Norvégiens évoquent avec fierté leurs ancêtres Vikings. Ce n'est certes pas un sujet tabou, mais plutôt la zone sombre d'une histoire qui semble à mille lieux de leur organisation sociale actuelle. Réputés sanguinaires, violents et cruels, les Vikings, qui s'imposèrent du IXe siècle à la moitié du XIe siècle, étaient pourtant de remarquables commerçants, des explorateurs téméraires, et des administrateurs fort compétents. Mais l'époque qui revient plus volontiers en mémoire aux Norvégiens est postérieure à l'ère viking. Comme le souligne Régis Boyer dans son introduction à la nouvelle édition des romans de Knut Hamsun : " Leur XIIIe siècle, quelque cent cinquante ans après le phénomène viking, fut une époque si heureuse, si glorieuse, avec, notamment le prestigieux roi Hakon Hakonarson (ou Hakon le vieux, 1217-1263) que la postérité - norvégienne - a donné à ce temps là le nom de storhestid, temps de la grandeur ". Peu après, la Norvège fut rattachée au Danemark qui exerça jusqu'en 1814 une hégémonie sans partage. Régis Boyer le confirme : " Disons, pour faire bref, que ce pays aura subi une danisation intégrale, politique et commerciale, bien entendu, mais aussi intellectuelle : le norvégien qui fut la prestigieuse langue dans laquelle furent rédigés les eddas, sagas et poèmes scaldiques, est systématiquement combattu, voire éradiqué, pour être remplacé par une langue qui est plus proche du danois et que les linguistes appellent d'ailleurs, de nos jours, le dano-norvégien (bokmal en norvégien, jadis rigsmal) ". La langue, ce ciment national qui fait l'âme d'un peuple, est une question bien complexe pour ce jeune pays souverain seulement depuis 1905, c'est à dire depuis la rupture de l'union formée avec la Suède qui prévalait depuis 1814. Deux langues sont apprises à l'école : le bokmal donc, qui est la langue officielle, celle par laquelle le roi s'adresse par exemple à ses sujets, et le nynorsk, qui est une langue parlée plus particulièrement dans certaines régions. S'y ajoutent 364 dialectes qui correspondent à autant de manières de parler ces langues dans les différentes parties du pays. L'existence des dialectes rappellent que jusqu'au XXe siècle, les Norvégiens, aujourd'hui unis dans un espace territorial bien aménagé (à noter le simple exemple des très nombreux tunnels qui peuvent atteindre jusqu'à quinze kilomètres) et dans la conscience d'appartenir à un royaume éclairé, formaient un peuple de pêcheurs et de paysans dispersés. Un peuple qui n'a jamais accouché ni d'une aristocratie puissante, ni d'une bourgeoisie urbaine solidement établie. Un peuple qui, à l'aube du troisième millénaire, continue paradoxalement de se représenter, malgré la modernisation du corps social et de l'appareil étatique, malgré l'enrichissement collectif consécutif à la mutation de son économie, comme une société rurale profondément enracinée dans la nature.

Le particularisme norvégien
Dans un essai intitulé Norsk utakt (" La Norvège à contre-temps "), le sociologue allemand Hans Magnus Enzensberger évoque le particularisme norvégien : " Si la Norvège est aujourd'hui le plus grand musée folklorique d'Europe, elle est en même temps un gigantesque laboratoire du futur ". Un laboratoire qui a déjà expérimenté et permis de mettre en pratique un certains nombre de formules qui ont de quoi rendre amères les latins les plus progressistes. La spécificité norvégienne prédominante réside dans une idéologie égalitaire qui s'immisce dans tous les compartiments de la vie en communauté. Au premier rang desquels s'impose l'égalité entre les hommes et les femmes. La thème de la parité n'est pas un sujet de débat dans ce pays car elle est depuis longtemps rentrée dans les moeurs. La Norvège fût l'un des premiers pays en 1913 à donner aux femmes le droit de vote. Depuis, la société n'a cessé d'évoluer positivement sur le chemin d'une égalité véritablement enracinée entre les hommes et les femmes. Celle-ci est même plutôt avantagée : quand deux personnes du sexe opposé postulent pour le même poste et ont un niveau de compétence équivalent, c'est le femme qui décroche le poste généralement. Dans ce contexte assez unique de dialogue et de partage, qui fait passer les sociétés latines pour des formes immatures d'organisation, les préoccupations des enfants ne sont pas oubliées. Depuis 1981, un médiateur est spécialement chargé par le gouvernement de veiller aux intérêts des enfants et des adolescents. Ceux qui veulent lui adresser une requête particulière ou lui faire part de besoins spécifiques peuvent le contacter directement et en toute simplicité par téléphone. Un ministère de l'enfance et des affaires familiales a du reste été spécialement mis en place afin de veiller sur les droits des citoyens les plus jeunes, et leur garantir un environnement quotidien sans risque.

Contrairement à un pays comme la France par exemple, fortement marquée par ses traditions jacobines, la Norvège nourrie une aversion épidermique envers la centralisation. Le débat sur l'adhésion à l'Union européenne, qui fut le débat public majeur du début des années 90 et se solda en 1996 pour la deuxième fois par un vote négatif, manifeste pour une part cette méfiance contre des instances régulatrices sans visage. D'une façon générale, le système d'organisation propre à la Norvège, qu'il s'agisse des entreprises ou des pouvoirs publics, est transversal. Ainsi, dans les entreprises, l'autorité hiérarchique n'a pas cours : le tutoiement est souvent de rigueur, la prise de décisions se fait souvent en commun, le respect du travailleur est garanti. Sont-elles pour autant moins compétitives que leurs consoeurs du sud de l'Europe ? Bien sûr que non. Quant à l'organisation des pouvoirs publics, il faut signaler que la Norvège vit depuis plus de 160 ans sous un régime de démocratie locale. Comme toujours, il convient de rester simple et proche des réalités du terrain. Le roi lui même montre volontiers l'exemple quand il prend juste un bus pour se rendre sur les pistes de ski de Lillehammer...
L'égalité est aussi synonyme de justice sociale. Le système de sécurité sociale, sans doute l'un des plus abouti au monde, est au coeur des préoccupations de l'Etat. La distribution des richesses, l'aide matérielle aux plus démunis, l'accès aux infrastructures de soin, le soutien financier aux jeunes étudiants, ou même l'accueil des immigrants, sont des facettes d'un concept dont la Norvège s'est faite la promotrice : l'intelligence sociale. Une intelligence prenant appui sur des actions, menées dés la prime enfance dans le champ de l'éducation, qui ont pour vecteur la responsabilisation des individus.

L'art d'être naturel
L'attachement national et le sentiment d'appartenance à une culture aux particularismes prononcés se reflètent dans un sens aigu de la communauté. Très organisés, les Norvégiens forment un peuple qui ne badine pas avec l'ordre public. " La liberté de l'autre étend la mienne à l'infini " disait le philosophe russe Bakounine. Une immersion dans le quotidien norvégien permet de bien saisir cette maxime. La réglementation sévère de la limitation de vitesse, l'interdiction absolue d'absorber de l'alcool avant de prendre le volant sous peine d'incarcération immédiate, l'ordonnancement méticuleuse des véhicules dans les bacs pour automobiles, le respect des rangs successifs dans les files d'attente, et plus généralement de la politesse, sont autant de signes distinctifs d'une vie en communauté bien ordonnée. Ordonnée et non pas policée, car il suffit d'un événement particulier pour que ce respect ordinaire, qui peut faire passer les Norvégiens pour des individus timides voire débonnaires, se transforme en une adhésion franche et spontanée à la communauté, qui fait ressortir le trait saillant de leur personnalité : un naturel dont la simplicité est criante de vérité.
Les fêtes sont de bons catalyseurs et de bons révélateurs de cette nature. Celle du 17 mai bien sûr, qui doit être la seule fête nationale au monde à faire défiler les enfants plutôt que les cohortes militaires, ou bien celles qui sont liées à l'histoire d'une région. Par exemple, après la réunion qui a rassemblé cet été de nombreux bateaux dans le Trollfjord, afin de commémorer une célèbre bataille qui a vu s'affronter au siècle dernier des pêcheurs utilisant des navires à voile à leurs homologues se servant de chalutiers à moteur, des milliers de personnes se sont retrouvées pour célébrer ensemble cette manifestation. Chacune des embarcations qui regagnait le petit port du village près de Svolvaer, dans les Lofoten, fut accueillie en étant saluée par des salves de hourra. L'allégresse populaire était à son comble. D'autres réjouissances encore permettent de mesurer le plaisir que les Norvégiens prennent à être ensemble. Chaque fin de semaine en effet, avec une constance sans faille, les bars, pubs et autres discothèques de chaque ville se remplissent jusqu'à l'excès. Tous les âges et toutes les couches de la population se retrouvent réunis pour partager un même goût de la fête. C'est littéralement saisissant. Une grande consommation de bière rend immédiatement l'atmosphère électrique, dans le bon sens du terme, c'est à dire joyeuse, débridée et chaleureuse. La spontanéité sans apprêt efface la mesure affichée durant toute la semaine. Le naturel cordial et généreux dans la dépense de soi s'exprime en toute liberté. Si La Rochefoucauld pensait que " rien n'empêche tant d'être naturel que l'envie de le paraître ", les Norvégiens lui répondent qu'ici tout invite à être naturel en n'ayant pas à en faire état.

Hugues Demeude