Hugues Demeude Journaliste reporter, auteur-réalisateur


PITCAIRN, LES SURVIVANTS DU BOUNTY (réalisation Alain Tixier, auteur Hugues Demeude, production Béta Production, 1ère diffusion 6 juin 2003 en prime time sur Thalassa (France 3), 20.8% d'audience !)

Présentation du documentaire

Battu par les flots du Pacifique loin de toute implantation humaine, l'îlot de Pitcairn est un nid d'aigle aux flancs profilés comme une forteresse de basalte. Il ne pouvait y avoir meilleur repaire pour des mutins en rupture de banc que ce soulèvement volcanique mal identifié sur les cartes marines de 1790, date à laquelle les révoltés de la Bounty décidèrent d'y abandonné leur destin. Sur cette île coupée du monde évolue une petite communauté qui se transmet en partage l'héritage de ces neuf marins rebelles.

Il convient dans un premier temps assez succinct d'une dizaine de minutes de se pencher sur l'histoire de cette aventure humaine pour saisir à quel point cette cinquantaine d'individus est bien la dépositaire d'un mythe. L'enjeu de la mission confiée par l'Amirauté britannique au capitaine William Bligh d'aller collecter des arbres à pain à Tahiti pour ensuite les rapatrier dans les West-Indies où ils devaient nourrir à bon compte les esclaves ; un voyage mouvementé de dix mois durant lequel est instauré une discipline tatillonne, puis une escale prolongée sur cette terre tahitienne qui offre des plaisirs auxquels il est difficile de s'arracher ; un mano à mano entre le capitaine et Fletcher Christian qui débouche sur la célèbre mutinerie ; un périple dantesque de Bligh et dix huit hommes qui effectuent une traversée périlleuse de 8 000 km à bord d'une chaloupe ; la recherche obsédante pour les mutins accompagnés de douze Tahitiennes et six indigènes d'un lieu pour se cacher ; la découverte de Pitcairn et l'échouage de la Bounty sans espoir de retour.

Cette communauté de Pitcairniens n'a beau se réduire qu'à une poignée d'individus, elle est présente dans bien des cœurs, en particulier ceux de sa diaspora. Ainsi, nous nous arrêtons sur l'île de Norfolk situé au nord de la Nouvelle Zélande, le jour du Bounty Day. Le 8 juin de chaque année est organisée une manifestation réunissant environ deux mille personnes qui commémore le transfert en 1856 des deux cents habitants de Pitcairn vers cette île cinq fois plus grande. La plupart y prirent racine, mais d'autres eurent le mal du pays et décidèrent de regagner Pitcairn. Des descendants des mutins évoquent sur Norfolk et en Nouvelle Zélande - île vers laquelle a convergé la majorité des ex-Pitcairniens au fil des années - la fierté d'appartenir à cette grande famille et nous disent combien la communauté continue de cultiver ce qui fait depuis des générations son charme et sa singularité. Des images d'archive de l'îlot dans les années 30 viennent étayer leur propos.

Instruits sur l'incroyable saga de la Bounty, sensibilisés à l'irréductible pouvoir d'attraction des Pitcairniens, nous faisons alors route vers cette terre difficilement accessible. A bord d'un navire de la marine française qui chaque année en janvier vient ravitailler l'île en fuel, nous établissons les premiers contacts avec quelques habitants venus à notre rencontre juchés sur une barque élancée longue de dix mètres. A nos côtés, les nouveaux instituteurs qui viennent s'installer pour enseigner aux quelques enfants sont accueillis avec chaleur. Les premiers pas permettent de découvrir Pitcairn et d'en prendre la mesure. Nous atteignons les hauteurs, au-dessus du seul village d'Adamstown, en compagnie de Thomas Christian qui est en quelque sorte à 70 ans la mémoire de l'île. Il évoque l'épopée des premiers temps, du partage des terres à la folie meurtrière, de la mort de Fletcher Christian à celle trente ans plus tard du dernier mutin, Adams, qui était le seul homme parmi douze femmes et vingt enfants. Redescendu dans Adamstown, Steve Christian, le maire de la communauté et accessoirement sa cheville ouvrière, explique comment fonctionne l'île : quel est son statut, quel est son lien de dépendance avec la Couronne britannique, quelle est sa part d'autonomie, à quoi se heurte sa volonté de développement, quelles sont les principales difficultés de vie. Suite à quoi nous retrouvons le Révi, le navire français, à partir duquel les marins s'apprêtent à débarquer après la première séance de ravitaillement. Une fois sur terre, ils se lient avec les habitants que certains retrouvent d'année en année. Comme d'habitude, les marins achètent aux Pitcairniens le produit de leur artisanat. La vente des sculptures en bois de rose, des maquettes, de la vannerie est le principal moyen de subsistance. Mais ce n'est pas la seule activité : le jardinage comme le montre une vieille dame âgée accapare du temps puisque tout pousse sur Pitcairn ; la pêche comme le dit Wanda Warren est également plus qu'un loisir ; l'entretien de l'espace collectif réclame de l'investissement… Sans compter les moments de détente que s'offrent les jeunes en s'égayant au grand air, en contact privilégié avec la nature.
Les jeunes générations sont justement la clé de l'avenir de l'île. Choisiront-ils de rester à demeure sur cette terre qu'ils chérissent ou opteront pour l'exil comme leurs cousins qui les ont précédé ? Les avis sont partagés. D'autres ex-Pitcairniens ont-ils le mal du pays et envisagent-ils de revenir pour mettre à profit les connaissances acquises sur le continent ? Notamment pour certains en développant un tourisme ciblé qui permettait d'assurer des revenus attractifs. Les Pitcairniens nous confient leurs doutes et leurs espoirs face à cette croisée des chemins qui peut s'avérer fatal. Le chant du Cygne, les descendantes des mutins installées à Tahiti ne veulent pas en entendre parler. Avec force conviction, elles concluent en affirmant que la filiation avec les révoltés coulent encore dans les veines de cette grande famille et que celle-ci saura résister au déclin.

Hugues Demeude